L’euthanasie est très loin de faire consensus au Québec! C’est ce message que le Rassemblement québécois contre l’euthanasie (RQCE) a voulu faire passer aux médias et aux politiciens en organisant la Marche printanière qui a eu lieu le 18 mai 2013. Près de 1700 personnes se sont jointes aux organisateurs pour marcher des Plaines d’Abraham au Parlement de Québec en clamant ce message par différents slogans. Avant et après la marche, médecins, avocats et professeur de philosophie ont pris la parole pour exprimer pourquoi ce qu’on appelle «l’aide médicale à mourir» ne représente aucunement une évolution positive pour le peuple québécois. Ça m’a beaucoup fait réfléchir sur la question.
«On ne meurt pas pour soi-même, on meurt pour les autres», a cité Louis-André Richard, professeur de philosophie à l’Université Laval. Cette phrase, qu’il a emprunté à je ne sais quel philosophe, oblige à réfléchir sur le sens de la vie et de la mort. Est-ce vraiment juste de cesser la vie de quelqu’un parce qu’il souffre? Est-ce bon pour ses proches, pour la maturité de notre société? «Vivre dignement son deuil implique d’accompagner ses proches jusqu’à la fin», croit Louis-André Richard. Un autre intervenant a lancé la réflexion: on peut avoir une société efficace, par l’euthanasie, mais au prix de la vie, est-ce que ça vaut la peine?
Mais, me dira-t-on, n’est-ce pas à la personne malade elle-même qu’il faut d’abord penser? Eh bien, faisons-le.
Linda Couture, directrice de Vivre dans la dignité, s’est dit outrée, lors de la Marche printanière, d’entendre parfois certains dirigeants exprimer que «Quand t’as plus toute ta tête, tu serais mieux mort». Amy Hasbrouck, qui travaille pour l’organisme Not dead yet (Toujours vivants) et souffre d’une cécité notable, a affirmé, pour sa part, que toute personne handicapée a déjà entendu: «J’aimerais mieux mourir que d’être comme vous.» Pour elle, permettre l’euthanasie est lancer aux personnes diminuées le message qu’ils ont moins de valeur du fait de leur handicap ou de leur maladie. Le Dr Patrick Vinay mentionne que les malades se sentent déjà coupables d’être un poids pour leur entourage et pour la société et qu’il serait donc bien facile de les convaincre de demander de disparaître si on leur dit que c’est cela qui est normal. Est-ce donc vraiment pour eux qu’on fait cela?
Le Dr Patrick Vinay demande que l’on protège les plus vulnérables, que les hommes et les femmes qui ont contribué à notre société aient droit à des soins palliatifs de qualité. Le Dr Paul Sabat, omnipraticien à l’Hôpital de Lachine, dit qu’il faut «investir dans la santé, pas dans la mort!» Le Dr Bergeron qui était présent pense que l’euthanasie va en contre-sens du serment d’Hypocrate que tous les médecins du Québec prononcent. «Ne nous donnez pas le pouvoir de tuer les autres; ne nous obligez pas à tuer les autres», demande-t-il.
Mon père aussi est médecin. Il fait des soins palliatifs, entre autres. Il accompagne donc des patients dans ces instants si privilégiés que sont ceux de la fin d’une vie. Il voit le cheminement qui peut encore être fait par eux et par leur famille, dans ces temps de souffrance. Il connait les divers moyens qui existent pour diminuer la douleur physique au maximum. Il voit parfois de la colère et de la rage, parfois de la paix et de la réconciliation. Croyant, il lui arrive aussi d’être confronté à des questions plus profondes posées par les patients qui, dans ces moments-là, peuvent difficilement contourner la question du sens de leur vie. Alors quant au sujet de l’euthanasie, il sait ce dont on parle. Certains politiciens, parait-il, aimeraient que les médecins ne se mêlent pas de ce débat politique… Ce genre de questions relève beaucoup plus de la philosophie que de la médecine à proprement parler, mais ce sont les médecins qui sont sur le terrain et voient comment se vit une fin de vie. Ce sont leurs témoignages qui me font savoir comme les soins palliatifs sont importants pour notre société.
Bien sûr, il y a les quelques, cas qui sont promeus en faveur de l’euthanasie, des personnes en fin de vie ou en déficience physique qui veulent en finir avec leur souffrance par la mort et qui émeuvent une partie de la population par leur situation et leurs discours. Mais le Dr Partick Vinay croit fermement que ce ne sont que des exceptions qui ne valent pas les risques que comporte l’acceptation de l’euthanasie. Nous vivons dans un système démocratique; peut-on vraiment affirmer que le Québec veut aujourd’hui permettre d’enlever la vie humaine à certaines conditions? Le suicide est pourtant illégal, et le Canada a rejeté la peine de mort pour s’assurer de ne pas tuer injustement des innocents. Si quelqu’un qui veut mourir à cause de sa souffrance physique ou morale devrait pouvoir user de cette «solution», pourquoi mettons-nous tant d’efforts à sauver les personnes qui manquent leur tentative de suicide? Pourquoi les aidons-nous à changer d’idée, même s’il faut pour ça les hospitaliser en psychiatrie?
Un intervenant – je ne sais plus lequel – a mentionné qu’il ne s’agissait pas de faire de l’acharnement thérapeutique: «C’est un droit de laisser mourir; mais pas un droit de se faire tuer. Refusons de faire disparaître ceux qui souffrent!» Un autre, avocat, a mentionné que l’euthanasie nous met tous en péril (car ce n’est pas qu’une question de «vieux»), mais surtout les plus vulnérables. Est-ce juste? Louis-André Richard, qui a prononcé quelques phrases marquantes pour moi lors de ses allocutions de la Marche printanière, a encore affirmé: «Mourir dans la dignité implique de vivre dignement jusqu’au bout de sa vie» et «Bien vivre, c’est vivre avec autrui.» Et le Dr Patrick Vinay, lui, a demandé: «Qu’en est-il de notre capacité à nous aider les uns les autres?»
Le présent article est déjà bien long, mais je tiens, pour le conclure, à rendre hommage à un homme qui a donné les derniers mois de sa vie à la cause du débat contre l’euthanasie. Le Dr André Bourque a co-fondé l’organisme Vivre dans la dignité qui fait signer une pétition publique contre l’euthanasie et il a été chef de file dans tout le débat. C’est chez lui que se sont réunies pour la première fois les quelques personnes de l’union desquelles est née la Marche printanière du 18 mai dernier. Je l’ai rencontré, une fois, à une conférence que donnait mon père. Je ne savais pas qui il était, à ce moment-là, mais comme je connaissais son fils, je ne l’ai pas oublié. Un homme très sympathique avec qui j’ai eu la joie de partager un repas. Un homme très apprécié de ses collègues, selon ce que j’ai pu en observer. Et il est décédé subitement en décembre dernier. Reposez en paix, cher Dr Bourque… Mais continuez votre bon travail de là-haut!