On ne dira pas ici tout ce qui pourrait être présenté de cette histoire. Mais on touchera à l’essentiel de ce qui explique pourquoi, aujourd’hui, il faut repenser nos pratiques liées à l’eucharistie comme sacrement d’initiation.
À l’origine: un rituel unifié
Dans les premiers temps de l’Église, celle-ci incorporait en son sein presque exclusivement des adultes. À cette époque, les choses se faisaient à peu près comme suit: une personne découvrait la foi chrétienne, elle l’approfondissait par la catéchèse pendant un certain temps puis, quand on considérait qu’elle avait acquis les caractéristiques essentielles d’un disciple de Jésus, on posait sur elle les gestes qui la faisaient membre du groupe. Quels gestes?
Le premier, bien sûr: l’immersion dans l’eau – le baptême. Ce geste a toujours été celui qui marquait le plus clairement l’appartenance au groupe. Il était habituellement suivi d’une prière d’invocation de l’Esprit Saint accompagnée soit d’un geste d’imposition des mains, soit d’une onction avec de l’huile, soit les deux. Cela marquait bien – surtout l’huile – le caractère indélébile, ineffaçable de la marque imprimée sur la personne: elle faisait partie pour toujours de ce groupe – l’Église.
Puis, aussitôt après ces gestes, la personne était invitée à s’asseoir à la même table que ses nouveaux frères et nouvelles sœurs dans la foi. La participation au repas eucharistique – donc la communion – manifestait clairement que la personne était maintenant reconnue comme membre à part entière du groupe des disciples. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’elle disait pour la première fois avec les autres membres de la communauté: « Notre Père qui es aux cieux… »
Une précision importante: cette célébration d’entrée officielle dans l’Église était présidée par le grand responsable de l’Église dans un lieu: l’évêque. Autrement dit, à cette époque, le baptême et la première communion étaient toujours vécus en présence de l’évêque. C’est normal: entrer dans l’Église, ce n’est pas seulement un geste individuel, et ce n’est pas non plus s’associer à une paroisse très locale, c’est devenir membre de la grande Église fondée par les apôtres. Voilà pourquoi le président d’une telle célébration, c’était le successeur des apôtres, l’évêque. Et cette célébration était habituellement célébrée dans la Nuit de Pâques, signe évident que l’entrée dans l’Église était directement reliée à la foi au Christ mort et ressuscité.
L’Église comme religion officielle de l’Empire romain :
le début d’un changement majeur
Ça, c’était aux débuts de l’Église, à une époque où on ne naissait pas chrétien mais qu’il fallait, comme adulte, décider de le devenir. Quand l’Église est devenue la religion officielle de l’empire romain (au IVe siècle), les choses ont commencé à changer: on s’est vite retrouvé à baptiser surtout des bébés. Dans ce contexte, la première participation à l’eucharistie a progressivement perdu son caractère de « geste qui exprime que quelqu’un passe de non chrétien à chrétien ». Elle a en quelque sorte cessé d’être vraiment un sacrement d’initiation.
Au siècle suivant, la façon de vivre la première communion s’est subdivisée en deux, et pas pour des raisons liées directement à l’eucharistie elle-même. Ce qui a été un facteur important ici, ce fut une modification majeure de la façon de célébrer le baptême. Comme il y avait maintenant un très grand nombre d’enfants à baptiser, il était maintenant impossible de tous les célébrer dans la Nuit pascale, et il était aussi devenu impossible que les baptêmes soient tous célébrés par l’évêque.
Dans toute la partie orientale de l’Église, on n’a rien changé au fait de vivre le baptême, l’onction et la première communion en même temps, même si on baptisait désormais surtout des bébés. On a donné le pouvoir aux chefs des communautés locales – les prêtres – l’autorisation de faire ces gestes à la place de l’évêque, pourvu que l’huile utilisée pour l’onction ait été consacrée par l’évêque. C’est donc cette huile consacrée qui constituait – et qui constitue encore dans ces Églises – le lien avec l’évêque. Dans ces Églises, donc, après avoir fait le rite de l’eau, puis avoir fait l’onction avec cette huile sainte – le Saint Chrême -, on donne au nourrisson un tout petit peu de vin consacré : l’enfant fait donc sa « première communion ». Dans ce contexte, on prend pour acquis – en fait on l’espère fortement! – que cet enfant grandira dans une famille où il apprendra progressivement ce que cela implique de vivre en chrétien.
À Rome : une décision différente, qui changera le cours des choses
L’évêque de Rome – le pape – prit pour son diocèse et pour toutes les églises rattachées à Rome une décision différente : désormais, les chefs des petites paroisses locales – les prêtres – pouvaient commencer le baptême en faisant le rite fondamental de l’immersion dans l’eau. Cependant, l’évêque se réservait l’onction avec le Saint Chrême pour le moment où il ferait sa visite pastorale dans cette paroisse. Il ferait alors l’onction – il confirmerait – sur toutes celles et tous ceux qui auraient été baptisés depuis sa dernière visite.
Vous aurez compris que cette décision est à l’origine de « l’invention » de la confirmation comme sacrement indépendant du baptême. En lien direct avec cette décision, la « première communion » garda sa place après la confirmation. Au fil du temps se développa une réflexion sur l’importance d’avoir atteint « l’âge de raison » pour pouvoir communier.
Pie X et l’inversion de la séquence des sacrements
Peut-être est-ce que vous vous dites : « Pourtant, moi, ce n’est pas ce que j’ai connu! J’ai fait ma première communion avant ma confirmation… »
Cette inversion de la séquence n’est pas très vieille (à l’échelle de l’histoire de l’Église) : c’est le pape Pie X, en 1910, qui décida de ce changement. Tout en souhaitant que l’âge de la confirmation soit un peu retardé, pour en marquer davantage la dimension d’engagement, il ne voulait pas que les enfants soient privés des « bienfaits » de l’eucharistie. Il a donc souhaité que la première communion reste collée à cet « âge de raison », donc autour de 7 ans, tout en retardant un peu la confirmation, ce qui a eu pour effet de changer l’ordre de célébration de ces 2 sacrements. Chez nous, cela a pris du temps avant que la confirmation soit significativement retardée puisque, jusque dans les années ’80, même si la confirmation se faisait après la première communion, c’était généralement assez rapproché, soit dans la même année scolaire. Ce n’est qu’assez récemment que l’âge de la confirmation s’est progressivement déplacé vers la 6e année d’abord. Maintenant, les pratiques varient un peu mais on a toujours, sauf cas très rares, une première communion avant la confirmation.
Voilà donc assez d’éléments d’histoire pour pouvoir réfléchir à la façon dont peut se situer, aujourd’hui, la première communion dans une démarche d’initiation à la vie chrétienne.