Par Alain Faucher, prêtre

En exergue: Dieu a « ouvert aux nations la porte de la foi. » (Actes des Apôtres 14, 27)

Les enjeux délicats de la visite papale

L’Église canadienne est en état d’alerte. Il est convenu que le pape François vienne se balader quelques heures sur les berges du Saint-Laurent cet été! À l’occasion de son passage auprès des peuples autochtones, Métis, Premières nations, Inuits, comment les médias vont-ils discourir sur l’événement? Vont-ils limiter leur champ de vision à une confrontation (plus ou moins imaginaire) oppresseurs / opprimés? En traitant sans plus d’examen les descendants des Européens de « voleurs de territoire »? 

Les médias raffolent des porte-parole qui se comportent en gens offusqués. Il y a là un risque. Celui d’occulter dans la mauvaise humeur la sincérité et la profondeur de l’admission des faits par le pape. Son geste exprime pourtant une chaleureuse excuse, un grand déplacement vers une réflexion partagée. Ces excuses s’ouvrent sur un avenir, sur la réconciliation, l’ajustement, la réparation et la construction de grands pans de notre avenir commun.

Oui, certes, tant de choses nous divisent… Existe-t-il un paradigme qui pourrait nous unir? Si les médias osent s’intéresser au contexte du geste du Pape, le simple fait que l’événement ait lieu dans le cadre du pèlerinage annuel à Sainte-Anne-de-Beaupré est déjà une piste à explorer. Il y a matière à dialogue autour de cet événement annuel qui rassemble depuis toujours des membres des Premières Nations. Le pèlerinage annuel à sainte Anne affirme qu’il est possible de se rencontrer en toute égalité sur la base d’une foi chrétienne partagée. Une foi centrée sur l’Alliance offerte par Dieu, cette Alliance inclusive qui laisse à chaque groupe ses langages, ses traditions, son savoir transmis de génération en génération. Cette Alliance dont bénéficia en premier le père des croyants, un Abraham capable de cohabiter dans un espace où s’enracinaient depuis longtemps de nombreuses peuplades (Genèse 13, 7; 14, 13.18-24; 15, 18; 21, 22-24; 23, 1-20).

 

Un guet-apens qui nous divise…

Laissez-moi d’abord vous raconter deux expériences qui m’ont marqué. La première est une expérience de déni et d’exclusion, et la seconde une expérience d’accueil respectueux. Cela mettra la table pour amorcer une réflexion biblique que nous voudrons peut-être approfondir à l’occasion de la rencontre du Saint-Père et des délégations autochtones.

Transportons-nous quelques années en arrière. J’ai vécu toute une surprise aux funérailles de madame X. Très engagée dans sa paroisse comme sacristine bénévole, animatrice de chant, catéchète, elle avait des ascendants autochtones dont elle n’avait jamais parlé. Au décès de madame, ses enfants convoquent sa parenté et ses collègues bénévoles pour une célébration de sa vie. 

Surprise : il faudrait posséder une encyclopédie culturelle des Premières nations pour comprendre le propos. Car les racines amérindiennes de madame incitent quelques-uns de ses enfants à vivre leur coming out autochtone à l’occasion de ce qui tient lieu de funérailles. Rondes dans le gazon imprégné de rosée, fumées d’herbes locales, gestuelles non expliquées : une grande partie de l’assistance se voit vite confinée au rôle d’observatrice pendant que le noyau dur de la famille s’implique avec intensité dans ce moment révélateur. On dirait une séance de revanche, un reniement systématique de la foi chrétienne profonde et engagée de la dame. Sans le vouloir, nous avons été impliqués dans une revanche intergénérationnelle. Car il semble que madame avait empoisonné l’enfance de ses rejetons avec son engagement chrétien…

Vous imaginez mon malaise. J’étais fasciné avant même d’arriver à la rencontre. J’étais disposé à m’instruire des coutumes de nos hôtes et de leur contenu. Mais l’occultation vengeresse de la foi chrétienne de la défunte me sembla irrespectueuse de la réalité vécue par cette personne engagée. La foi chrétienne n’a pas le droit ou le pouvoir de masquer la culture transmise par une des Premières Nations.  Mais l’inverse est aussi vrai : le renouement avec la culture amérindienne ne contredit pas une adhésion sincère et réelle à la foi chrétienne.  À condition que cette foi soit perçue dans toute son envergure, qui dépasse de beaucoup les limites d’une « patente de Blancs » …

 

… ou la quête de sens qui nous unit?

Autre expérience marquante, à l’inverse de la première. J’ai vécu toute une surprise le jour où un Autochtone (passionné de littérature francophone) s’est engagé dans le Certificat en études bibliques. Plus qu’un réservoir d’éléments culturels étrangers, la Bible était pour lui une source de sa propre existence et de son inspiration. Il voulait aller en profondeur dans la relecture critique de la Bible pour en tirer profit dans sa démarche artistique.

Il avait compris que la lecture critique consiste non pas à dénigrer, mais plutôt à apprécier les choses à leur juste valeur. L’étudiant se disait donc disponible pour approfondir le contenu de l’Alliance qui peut accueillir autant les descendants des Européens que les descendants des Premiers peuples. L’étudiant allait jusqu’à se sentir inclus personnellement dans la dynamique de l’Alliance. Il y trouvait un fond solide pour dépasser les rancœurs du passé et les gaucheries épouvantables subies par des membres de son peuple. Ses études bibliques ont ainsi contribué à sa productivité littéraire pendant deux décennies, voire plus…

 

Une piste de rencontre

Il peut y avoir une rencontre entre Église et Premières nations sur la base de la foi partagée. Malgré les bêtises innommables commises au nom de la foi chrétienne. Même avec nos traditions spirituelles variées, nous pouvons nous redéfinir pour une coexistence harmonieuse.

L’Alliance où s’impliqueraient nos peuples respectifs nous entraîne à penser davantage de nouvelles relations entre nous. Nous pourrons devenir de plus en plus un « nous ». L’Alliance offerte par Dieu, mutuellement assumée, formera le socle sur lequel nous essayerons de construire ces nouvelles relations.

Plusieurs Autochtones sont attachés à la foi chrétienne, malgré la répulsion générale contre le colonialisme. Leur adhésion au christianisme est profonde et exemplaire. Elle permet d’espérer contre toute espérance. Elle incite à rester têtus dans l’espérance…

La décision commune d’entrer dans l’Alliance proposée par la Bible est un moment capital. Les personnes qui y souscrivent se donneraient une clé commune pour interpréter la vie et ses rencontres. L’Alliance proposée par Dieu à toutes les familles de la terre dans la personne d’Abraham (Genèse 12, 3) dénoue les mésententes et renoue la bonne entente. Car la conquête de territoires n’est pas la seule manière possible de déployer l’Alliance. Abraham a mené bien peu de guerres pour s’emparer de son territoire. L’Alliance offerte par le plus fort était calquée sur les modèles antiques de reconnaissance de l’existence des peuples et de partage des ressources. Cette alliance offerte par le plus fort pouvait s’avérer bénéfique pour le plus faible, qui y trouvait maints avantages. À condition de respecter les règles convenues, les deux partenaires y trouvaient finalement un appui mutuel et prometteur.

Une fois appliquée au domaine spirituel, l’Alliance permet d’inclure des gens sincères de toute provenance prêts à prendre part à la grande aventure de confiance en Dieu. Ce n’est pas anodin que la Bible raconte qu’une prostituée locale, Rahab, a facilité la conquête de Jéricho en aidant les gens de Josué (Josué 2; 6, 17.23.25). Elle fut intégrée au Peuple de Dieu au point de faire partie de la généalogie de Jésus (Matthieu 1, 5). On comprend aussi qu’après la résurrection de Jésus, toutes les limites de pureté étaient dépassées. Peu importe le mode de vie ou l’origine, Dieu devenait accessible à tous et toutes.  (Actes des Apôtres 2, 9-11; 10, 9-17).


Quelques données de cette chronique ont été inspirées par des propos de René Tessier et de Valérie Roberge-Dion, ainsi que par l’ouvrage de Frédéric Boyer et Thomas Römer, Une Bible peut en cacher une autre.  Le conflit des récits, Montréal, Novalis, 2021, 214 pages.