Article tiré de la revue Pastorale-Québec, avril-juillet 2020
Propos recueillis par Véronique Demers
Depuis l’ordination diaconale d’Aurélien Placide Nzitoukoulou, de François Proulx, de Victoriano Salazar et de Léandre Syrieix, le 7 décembre 2019 à l’église Saint-Fidèle de Limoilou, ceux-ci sont à quelques enjambées de la prêtrise, bien qu’on ignorait encore, aux dernières nouvelles, la date exacte de leurs ordinations presbytérales. Pastorale-Québec vous présente l’un d’eux, Léandre Syrieix.
Q: Léandre, où as-tu passé ton enfance?
R: Ma famille est originaire du Cameroun où j’ai passé ma petite enfance. Mon père était journaliste et ma mère était infirmière. Je voulais au départ faire médecine. Après avoir passé un an au Gabon, j’ai rejoint à 19 ans ma famille en France (il a un frère en Suisse et une soeur à Bruxelles). En fait, ma mère nous a élevés seule. Syrieix vient de mon père adoptif, qui m’aime comme son fils. Mon père biologique a demandé de prier pour lui. Il est décédé il n’y a pas longtemps, mais on a pu se réconcilier avant sa mort.
Q: Quel est ton cheminement académique?
R: Après avoir été au Petit Séminaire (formation académique et spirituelle) de Port-Gentil au Gabon, où je me suis engagé auprès des Salésiens de Jean Bosco, je suis allé rejoindre ma famille en France. Dès l’âge de 18 ans, la vocation était très présente. Mais j’ai choisi pendant un certain temps une autre tangente. J’ai fait l’équivalent d’un DEC en chimie à Lourdes, en France, auprès des soeurs de Saint-Joseph. J’étais très impliqué dans les activités étudiantes et les événements diocésains. L’évêque de Lourdes m’a alors demandé si je voulais être prêtre. J’y avais déjà réfléchi, mais c’était loin pour moi à ce moment-là. Je suis ensuite allé à l’école de chimie de Bordeaux, où j’ai fait une maîtrise en chimie des matériaux. J’ai vraiment aimé mon travail.
Q: Pourquoi t’es-tu orienté vers une vocation religieuse?
R: J’ai reçu une formation d’ingénieur, je me suis plu dans mon travail en France et à Saint-Henri-de-Lévis. Même si j’avais ma résidence et que j’étais membre de l’Ordre des ingénieurs, la joie ne m’habitait pas. J’ai réalisé que ma vie était plate, vide de sens. Quand j’y repense aujourd’hui, je me rends compte que j’ai passé ma vie à fuir. Déjà, à Bordeaux, j’avais fait un cheminement pendant mes études, auprès d’une communauté semi-monastique. Au Québec, je suis allé 10 jours au Monastère des Petits frères de la Croix. Mon processus vocationnel m’a permis de guérir plusieurs blessures. J’avais 27 ans quand je suis entré au Grand séminaire de Québec. Ça a pris deux ans avant que ma mère donne sa bénédiction à mon projet vocationnel. Je n’ai pas arrêté de prier pour ma mère.
Q: Comment peut-on qualifier la formation que tu as reçue?
R: Ma formation au Grand séminaire de Québec a été très humaine. Je réalisais que j’étais un cadavre ambulant. Pour entrer au Grand séminaire de Québec, il faut passer un test psychologique. Tout va bien, je continue à aller en psychologie. C’est bénéfique. Pendant ma formation, mon accompagnateur spirituel m’avertit que je ne peux pas continuer ma formation sans pardonner à ma mère. Je suis entré dans un processus spirituel, qui m’a amené à écrire une longue lettre de trois pages à ma mère. Le recteur était à mes côtés, et ma mère à l’autre bout du fil, en France, lorsque j’ai lu la lettre. Elle m’a demandé pardon. C’était très important pour moi.
Q: Qu’as-tu aimé et moins aimé de ton stage de deux ans dans Limoilou?
R: Je n’ai pas aimé ma première année. Les gens sont habitués à leur façon de faire et je trouvais ça plate. J’ai pris rendez-vous avec l’abbé Yves Guérette pour lui dire que je voulais rencontrer les gens. Je suis même allé dans un studio de tatouage, où j’ai fait quelques tatouages et j’en ai profité pour évangéliser les commerçants. Je vais aussi à des soirées de danse et dans les bars. Julien Guillot (le curé de Limoilou) m’a toujours encouragé à assurer cette présence d’église où j’étais. Il a su exploiter mes talents, mon charisme.
Q: Que retiens-tu du mois d’intégration avec Martin Laflamme à Petit-Cap, l’été dernier?
R : Le Seigneur n’appelle pas les gens capables; il rend capables les gens qu’Il appelle. Ce mois d’intégration m’a permis de prendre conscience que s’il fallait exiger de nous toutes les qualités requises pour être un bon prêtre, je ne pourrais jamais l’être. Le ministère a de la grandeur et de l’importance. Chaque jour, il faut choisir de s’engager. Je n’ai désormais plus de recteur ni de formateur, mais chaque matin, je prends un rendez-vous avec le Seigneur. Heureusement, dans ma vocation, j’ai connu jusqu’à ce jour plus de joies que de moments difficiles.
Q: L’Église d’aujourd’hui est devenue une institution quelque peu discréditée dans la société québécoise. Comment vis-tu avec ce constat?
R: Ça a été justement le sujet choisi pour ma thèse de maîtrise, c’est-à-dire comment l’Église peut continuer, à travers ses figures et ses formes institutionnelles, d’annoncer un message crédible dans un contexte québécois. Je ne peux rectifier le passé ni vraiment le réparer. On réduit beaucoup l’Église à une institution morale. J’évangélise les gens que je rencontre dans le métro, dans le bus, dans la rue. Il y a moyen de réconcilier les Québécois blessés par l’Église catholique.
Q: Comment le Québec est-il survenu dans ton parcours de vie?
R : J’ai un ami que j’ai connu à l’école de Bordeaux, qui était parti à l’aventure en Amérique du Nord. Il s’est installé à Montréal, où il a fondé une famille. Il insistait beaucoup pour que je vienne faire un tour. Mais le Québec n’était pas dans mes projets. La seule image que j’avais du Québec, c’était l’émission Les têtes à claques, les tempêtes et un accent bizarre. Il m’a fallu trois mois d’adaptation pour comprendre.
Je suis tombé amoureux de l’Australie, après être allé aux JMJ de 2008 à Sydney. Ça faisait deux ans que j’étais en attente pour ma résidence en Australie. D’un autre côté, j’ai été influencé par mon ami pour faire ma demande de résidence pour le Québec. L’ensemble du processus (sélection, examen de santé, etc.) a pris trois mois! Mon ami ne me croyait pas. Au moment où j’ai reçu ma réponse pour l’Australie, j’avais ma réponse du Québec. J’avais un choix à faire. Je suis arrivé dans la Vieille Capitale le soir du spectacle d’Elton John au Festival d’été de Québec. Au moment d’entrer au Grand séminaire de Québec, j’étais en amour avec une fille. Nous nous fréquentions depuis quelques années. Nous nous sommes quittés parce qu’elle pensait devenir religieuse, mais finalement ce n’est jamais arrivé. Elle est maman aujourd’hui et moi bientôt prêtre.
Q: Tu puises dans des sources de cultures différentes. Comment cela te prépare-t-il à une Église de plus en plus mondialisée?
R: Je rends grâce à Dieu pour mon expérience acquise ailleurs. Après avoir connu plusieurs Églises, cultures et des façons de vivre la foi catholique, cela me permet de m’adapter plus facilement avec les Québécois. Par exemple, la façon de vivre la foi à Toronto n’est pas la même qu’à Québec. Bref, je me laisse déranger ou interpeller par d’autres cultures. Ça suscite ma curiosité envers la personne. Grâce à mon bagage, je sens que je peux mieux accueillir ce monde, m’ajuster et m’adapter. Aujourd’hui, je construis ma vie sur trois piliers: la vie spirituelle, le volet humain (psychologie et relations) et l’hygiène de vie (sport, culture et amis).
Q: Merci beaucoup, Léandre. Tu as su aussi t’ajuster à nos diverses questions. Tu seras sans doute un prêtre heureux !