Ce 12 février, le pape François nous offre le fruit de sa réflexion à la suite du synode sur l’Amazonie d’octobre dernier. Dans son exhortation apostolique post-synodale « Querida Amazonia », il partage ses rêves pour l’Amazonie, des rêves qui ont des répercussions jusque chez nous.
En voici la présentation détaillée par Vatican News : https://www.vaticannews.va/fr/pape/news/2020-02/querida-amazonia-exhortation-du-pape.html
Le texte complet : bit.ly/QueridaAmazonia
Commentaires de Geneviève Laroche
La première à avoir répondu à notre demande est Mme Geneviève Laroche. La doctorante en agroforesterie est chargée de projets à la Chaire en développement international de l’Université Laval, où elle coordonne entre autres les écoles d’été en justice alimentaire et en agroécologie. Elle se réjouit de la forte interpellation du pape François.
En quoi cette exhortation est-elle une bonne nouvelle?
Le message du pape replace l’Amour au centre des actions visant tant la justice sociale que la justice écologique, les deux pans indissociables de l’écologie intégrale. Le Pape rappelle dans son exhortation qu’il est essentiel de dépasser les niveaux d’action techniques, politiques et juridiques pour en arriver à véritablement préserver la beauté et le sacré de ce territoire et de ses habitants :
55. Apprenant des peuples autochtones, nous pouvons contempler l’Amazonie, et pas seulement l’étudier, pour reconnaître ce mystère qui nous dépasse. Nous pouvons l’aimer, et pas seulement l’utiliser, pour que l’amour réveille un intérêt profond et sincère. Qui plus est, nous pouvons nous sentir intimement unis à elle, et pas seulement la défendre, et alors l’Amazonie deviendra pour nous comme une mère. Car « le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de l’intérieur, en reconnaissant les liens par lesquels le Père nous a unis à tous les êtres ».
L’exhortation nous appelle à nous reconnaître à la fois enfants de Dieu et enfants de la Terre, enfants de l’Amazonie. Elle nous rappelle que Dieu se fait présent dans chaque être vivant, mais aussi dans chaque relation entre ces êtres vivants, et que c’est cette toile, tissée au fil de l’Esprit, qui nous fait vivre. Elle nous invite donc à prendre soin de ces relations de vie, à les revoir, à les approfondir et à les nourrir, dans un esprit de communion à Dieu et aux autres, en particulier les plus marginalisés.
Comment cette exhortation peut-elle nous interpeller, au Québec?
Le texte de l’exhortation, pourtant campé dans le contexte amazonien et écrit pour celui-ci, comporte néanmoins une résonnance frappante avec l’histoire et la logique de développement du territoire au Québec. Il suffit de faire l’exercice de remplacer le mot « Amazonie » par « Québec » ou « Grand Nord », par exemple, pour constater que la réalité de l’Amazonie dépeinte dans l’exhortation est semblable à celle qui a prévalu et qui prévaut encore chez-nous. Ici aussi, nous considérons trop souvent le territoire du Nord du Québec comme (par. 12): « un vide énorme (…), une richesse brute à exploiter (…) avec un regard qui ne reconnait pas les droits des peuples autochtones », comme c’est le cas pour l’Amazonie.
Conséquemment, les rêves et recommandations prononcées par le Pape François à l’égard de l’Amazonie nous concernent tout autant. L’exhortation nous invite directement à revoir nos liens avec les nations autochtones qui ont habité notre territoire depuis bien plus longtemps que nous et à construire, avec elles, des chemins d’espérance d’action nouveaux pour sauvegarder notre maison commune, notre « Amazonie » à nous, notre fleuve, nos lacs, nos rivières, nos forêts. En se laissant de nouveau toucher par le sacré et la beauté de la Création, nous pourrons trouver des moyens adaptés et pertinents d’annoncer le kérygme et l’incroyable beauté de la mort-résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ, source infinie de tout Amour, de toute relation à Dieu et aux êtres vivants.
Commentaires de Mgr Martin Laliberté, p.m.é.
Le nouvel évêque auxiliaire à Québec, Mgr Martin Laliberté, p.m.é., est particulièrement sensible aux enjeux soulevés par l’exhortation, lui qui a œuvré huit ans en Amazonie.
Premièrement j’aime bien le titre, Querida Amazonia, qu’on traduit officiellement par Amazonie bien-aimée et qu’on aurait aussi pu traduire par Chère Amazonie. Le titre dénote un regard de tendresse affective envers l’Amazonie. Ayant vécu plusieurs années au cœur de l’Amazonie brésilienne, ça touche une corde sensible chez moi.
Le pape François nous parle de ses quatre rêves pour l’Amazonie. Un rêve social, un rêve culturel, un rêve écologique et un rêve ecclésial. Pour ma part j’aimerais commenter le Rêve Ecclésial.
Dans ce rêve, quelques expressions ont retenu mon attention.
- Sur la nécessité de l’annonce de l’Évangile aux peuples d’Amazonie :
« L’option authentique pour les pauvres et les oubliés, en même temps qu’elle nous pousse à les libérer de la misère matérielle et à défendre leurs droits, implique que nous leurs proposions l’amitié avec le Seigneur qui les promeut et leur donne dignité. » (no. 63)
- Sur une annonce de l’Évangile qui prend en compte la culture des peuples qui habitent le territoire amazonien et qui peut s’appliquer à toutes les cultures qui entrent en contact avec l’Évangile:
« L’Église, alors même qu’elle annonce encore et encore le kérygme, doit se développer en Amazonie. Pour cela elle reconfigure toujours sa propre identité par l’écoute et le dialogue avec les personnes, les réalités et les histoires de leur terre. De cette façon, pourra se développer de plus en plus un processus nécessaire d’inculturation qui ne déprécie rien de ce qu’il y a de bon dans les cultures amazoniennes, mais qui le recueille et le porte à sa plénitude à la lumière de l’Évangile. » (no.66)
« C’est pourquoi, « comme nous pouvons le voir dans l’histoire de l’Église, le christianisme n’a pas un modèle culturel unique »[95] et « ce n’est pas faire justice à la logique de l’incarnation que de penser à un christianisme mono culturel et monocorde »… Il faut accepter avec courage la nouveauté de l’Esprit qui est capable de créer toujours quelque chose de nouveau avec le trésor inépuisable de Jésus-Christ, car « l’inculturation engage l’Église sur un chemin difficile, mais nécessaire » (no. 69)
- Sur le fait qu’il ne faut pas avoir peur de la cosmovision des peuples autochtones d’Amazonie mais plutôt la comprendre et voir comment elle ouvre des portes pour l’accueil de l’Évangile. Ce n’est pas un paganisme à combattre mais une sagesse où, d’une certaine manière, Dieu se révèle. C’est un regard à porter sur toutes les cultures partout dans le monde:
« Pendant que nous luttons pour eux et avec eux, nous sommes appelés « à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux ». (no. 72).
« De même, la relation avec Jésus-Christ, Dieu et vrai homme, libérateur et rédempteur, n’est pas contraire à cette vision du monde fortement cosmique qui caractérise ces peuples, parce qu’il est aussi le Ressuscité qui pénètre toute chose. Pour l’expérience chrétienne, « toutes les créatures de l’univers matériel trouvent leur vrai sens dans le Verbe incarné, parce que le Fils de Dieu a intégré dans sa personne une partie de l’univers matériel, où il a introduit un germe de transformation définitive ». (no. 74)
- Sur l’importance de reconnaître l’expérience de foi que vivent les peuples tant dans leur cosmovision que dans leur expressions religieuses propres que dans la religiosité populaire. Un christianisme pur qui n’a pas vécu d’adaptation culturelle ça n’existe pas. Partout où il est passé, l’Évangile a pris les traits de la culture qui l’accueillait et ce, partout et toujours depuis 2000 ans :
« Ne nous précipitons pas pour qualifier de superstition ou de paganisme certaines expressions religieuses qui surgissent spontanément de la vie des peuples. Il faut plutôt savoir reconnaître le blé qui grandit au milieu de l’ivraie, parce que « dans la piété populaire, on peut comprendre comment la foi reçue s’est incarnée dans une culture et continue à se transmettre. » (no.78)
« Il est possible de recueillir d’une certaine manière un symbole autochtone sans le qualifier nécessairement d’idolâtrie. Un mythe chargé de sens spirituel peut être utilisé et pas toujours être considéré comme une erreur païenne. » (no.79)
- Sur l’Eucharistie. Le pape ne parle pas de l’ordination au sacerdoce d’hommes mariés comme le mentionnait le document final du Synode. De fait, au Synode on a parlé de la possibilité d’ordonner au sacerdoce des diacres permanents mariés, après un bon temps éprouvé de ministère diaconal et seulement dans des circonstances bien particulières.
« L’inculturation doit aussi se développer et se traduire dans une manière incarnée de mettre en œuvre l’organisation ecclésiale et la ministérialité. » (no. 85)
« Il faudra veiller à ce que la ministérialité se configure de telle manière qu’elle soit au service d’une plus grande fréquence de la célébration de l’Eucharistie, même dans les communautés les plus éloignées et cachées. » (no. 86)
« La manière de configurer la vie et l’exercice du ministère des prêtres n’est pas monolithique, et acquiert diverses nuances en différents lieux de la terre. C’est pourquoi il est important de déterminer ce qui est spécifique au prêtre, ce qui ne peut pas être délégué. » (no 87)
« Dans les circonstances spécifiques de l’Amazonie, en particulier dans ses forêts et ses zones très reculées, il faut trouver un moyen d’assurer ce ministère sacerdotal. Les laïcs pourront annoncer la Parole, enseigner, organiser leurs communautés, célébrer certains sacrements, chercher différentes voies pour la piété populaire et développer la multitude des dons que l’Esprit répand en eux. Mais ils ont besoin de la célébration de l’Eucharistie parce qu’elle « fait l’Église. » (no.88)
« Cette nécessité urgente m’amène à exhorter tous les évêques, en particulier ceux de l’Amérique Latine, non seulement à promouvoir la prière pour les vocations sacerdotales, mais aussi à être plus généreux en orientant ceux qui montrent une vocation missionnaire à choisir l’Amazonie. » (no.90)
- Sur les ministères dans un contexte ecclésial semblable à ce qui s’en vient au Québec :
« … les diacres permanents, les religieuses et même les laïcs assument des responsabilités importantes pour la croissance des communautés, et arrivent à maturité dans l’exercice de ces fonctions grâce à un accompagnement adéquat. » (no.92)
« Nous devons promouvoir la rencontre avec la Parole et la maturation dans la sainteté à travers des services laïcs variés qui supposent un processus de préparation – biblique, doctrinale, spirituelle et pratique – et divers parcours de formation permanente. » (no 93
« … là où il y a des besoins particuliers, l’Esprit a déjà répandu les charismes qui permettent de leur donner une réponse. Cela demande à l’Église une capacité d’ouvrir des chemins à l’audace de l’Esprit, pour faire confiance et pour permettre de façon concrète le développement d’une culture ecclésiale propre, nettement laïque. » (no. 94)
- Finalement, sur le rôle et l’importance des femmes. Le pape ne reprend pas ici la question du diaconat pour les femmes qui était présente dans le Document final. Cependant, il y a déjà une Commission formée en 2016 au Vatican qui étudie cette question :
« En Amazonie, il y a des communautés qui se sont longtemps maintenues et ont transmis la foi sans qu’un prêtre ne passe les voir ; durant même des décennies. Cela s’est fait grâce à la présence de femmes fortes et généreuses. Les femmes baptisent, sont catéchistes, prient, elles sont missionnaires, certainement appelées et animées par l’Esprit Saint. » (no.99)
« Dans une Église synodale, les femmes qui jouent un rôle central dans les communautés amazoniennes devraient pouvoir accéder à des fonctions, y compris des services ecclésiaux, qui ne requièrent pas l’Ordre sacré et qui permettent de mieux exprimer leur place… ces services impliquent une stabilité, une reconnaissance publique et l’envoi par l’évêque… que les femmes aient un impact réel et effectif dans l’organisation, dans les décisions les plus importantes et dans la conduite des communautés, mais sans cesser de le faire avec le style propre de leur empreinte féminine. » (no. 103)