L’abbé René Tessier, rédacteur en chef de la revue Pastorale-Québec, analyse l’actualité religieuse depuis plusieurs décennies. Quel regard porte-t-il sur la visite papale? Voyez ses commentaires dans cette série de quatre blogues.
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C’est la réclamation qui est jaillie le plus fort, au terme de la visite du Pape aux Canada : que l’Église dénonce la « doctrine de la découverte ». Voilà un thème très politique, qui nous fait remonter dans l’Histoire et qui porte à conséquences aujourd’hui encore.
Christobal Colon et consorts ont-ils « découvert » l’Amérique? Au sens strict, il faut répondre: oui. Les Européens cherchaient une nouvelle route vers l’Asie, ils sont tombés sur ce continent dont ils ignoraient l’existence. Bien entendu, les Amériques étaient déjà occupées par des populations, dont les descendants ont encore des droits. Mais ces premiers occupants ont aussi découvert au moins une chose: que d’autres civilisations existaient sur cette planète. Ceci dit, les contacts entre indigènes et colonisateurs ont eu de sinistres répercussions pour les premiers, surtout à cause des maladies transportées par les animaux des seconds. Les populations autochtones ont été carrément décimées par les épidémies aux 16e, 17e et 18e siècles. Ailleurs, comme aux États-Unis, ils ont subi une véritable politique d’extermination. Pas surprenant qu’ils soient maintenant très minoritaires parmi nous!
D’un autre côté, la doctrine de la découverte incluait à l’époque le principe dit de la Terra Nullius, voulant qu’un territoire sur lequel il n’y avait pas de chrétiens soit considéré comme n’appartenant à personne. Nous nous souvenons tous et toutes de l’épisode dans lequel Jacques Cartier prend possession du Canada au nom du Roi de France… en dressant une croix à Gaspé.
Toutefois, la théorie de la Terra Nullius, énoncée par le pape Alexandre VI dans une Bulle (Inter Caetera, 1493) qui voulait avant tout déterminer un partage de l’Amérique latine entre l’Espagne et le Portugal, les deux puissances maritimes de l’époque, a été rapidement recadrée ou rectifiée par un de ses successeurs, Paul III, dès 1537, par une autre Bulle pontificale: Sublimus Deus. Des siècles ont passé sans que personne ne réclame vraiment d’autres corrections officielles. En 2016, au lendemain du rapport de la Commission canadienne de Vérité et Réconciliation, la Conférence des évêques catholiques du Canada a explicitement réfuté la doctrine de la découverte. Le Vatican pourrait éventuellement faire publiquement la même déclaration. Ça ne semblait tout simplement pas nécessaire avant que nos Autochtones ne le réclament si vertement.
À savoir: dans les traditions de nos Premières Nations, le concept de propriété du sol n’a jamais existé. Leur norme a toujours été facile à saisir : la terre appartient à tout le monde. Le principe a beau être généreux, il se révèle beaucoup plus facile à gérer quand la population concernée est restreinte. Ainsi on a vu de sérieux malentendus quand certaines tribus ont autorisé des Blancs à séjourner sur leurs terres mais n’avaient aucunement l’intention de leur en céder la propriété. Certains conflits historiques entre peuples autochtones peuvent aussi se comprendre sous cet angle.
Chose certaine, nous n’avons pas fini de revisiter notre histoire commune. Au sortir de la visite papale, on peut espérer qu’enfin nous allons nous intéresser un peu à notre passé…
René Tessier