Cet article a été publié dans la revue Pastorale-Québec d’octobre-novembre 2022. Abonnez-vous pour bénéficier de ce formidable outil!
Propos recueillis par René Tessier
À la fin de l’été, Marie Chrétien a laissé, à sa demande, le Service diocésain de pastorale dont elle était coordonnatrice-directrice depuis 14 ans. Elle avait demandé au cardinal Lacroix, dès l’été 2021, de penser à quelqu’un d’autre qui pourrait s’initier à cette responsabilité dans l’année pastorale 2021-2022. Ce qui a valu l’arrivée d’Alexandre Gauvin, maintenant à son tour à la tête du Service de pastorale. Marie nous a aimablement accordé une entrevue, malgré sa réticence à parler d’elle-même. Toutefois son parcours nous parait d’autant plus pertinent qu’il permet de repasser près de quatre décennies de vie diocésaine, entre deux visites de papes : Jean-Paul II en septembre 1984 et François en juillet 2022.
R.T.
Question
Bonjour, Marie. Je vous ai prise au vol mais nous ne vous avons pas souvent interviewée. Merci d’avoir accepté. Et commençons par la fin : vous étiez à Sainte-Anne de Beaupré le jeudi 28 juillet pour la messe du Pape. On a pu vous reconnaître à l’écran…
Réponse
En fait, j’y étais dans un rôle de soutien. Avec Jean Gagnon, animateur diocésain, je coordonnais l’organisation de la communion sur les sites extérieurs, qui s’est vraiment très bien déroulée. J’ai même été surprise de voir comment il pouvait être facile de trouver des bénévoles en un rien de temps, en plein milieu de l’été. Nous avons lancé notre SOS par courriel le mardi matin 15 jours avant; deux jours plus tard, nous avions tous les volontaires qu’il nous fallait. Nous nous sommes mêmes trouvés en surplus de personnel (ce qui n’est pas fréquent) car des gens qui avaient réservé un laissez-passer ne se sont finalement pas pointés. J’ai tout de même été emballée de voir que nous avions encore une telle force de mobilisation. Autour de nous, peu d’organisations peuvent enrôler des centaines de personnes dans un délai aussi serré que le nôtre. (NDLR : on se souvient que le pape François n’a vraiment confirmé sa venue, annoncée une première fois en mai, qu’après la mi-juin, lui qui venait de reporter un voyage prévu en Afrique.)
Question
Effectivement, ça étonne ou ça détonne dans notre contexte de société, plutôt morose. Mais revenons à vos débuts en pastorale : comment est-ce que ça a débuté?
Réponse
Il me semble important de souligner que c’est une communauté paroissiale dynamique qui m’a donné le goût de m’engager : celle de Sainte-Cécile de Charlesbourg. Et signalons au passage que cette vitalité des communautés chrétiennes était la grande préoccupation du Congrès sur l’avenir des paroisses (dont elle était responsable de l’organisation) en octobre 2004. Et aujourd’hui, j’éprouve une réelle tristesse devant le constat de leur fragilité, alors que nous sortons à peine de la pandémie. Notre Église a subi de nombreux coups durs depuis 2020 : la COVID et la fermeture de lieux de culte, les allégations d’abus sexuel dont nous n’avons pas fini de mesurer l’impact, le sombre dossier des pensionnats pour Autochtones…
Question
Revenons à vos débuts en pastorale en 1984.
Réponse
J’avais 20 ans, je m’étais impliquée en pastorale tant en paroisse qu’à la Polyvalente de Charlesbourg. J’étais technicienne en laboratoire médical. C’est l’abbé Pierre Morissette, aujourd’hui évêque émérite, qui est venu me chercher pour collaborer à la préparation de la visite du Pape. J’ai commencé en janvier 1984, puis, après le départ de Jean-Paul II, j’ai été affectée à la Jeunesse étudiante catholique (JEC) et à la pastorale diocésaine de la jeunesse. Celle-ci venait juste d’être mise sur pied, à la suite du grand rassemblement des jeunes au Stade olympique de Montréal.
À l’époque, nous ne parlions pas encore d’équipes pastorales; l’organisation des paroisses était très différente de celle d’aujourd’hui.
Question
(Rire) Vous aviez 20 ans en 1984, il n’est donc pas difficile de deviner votre âge actuel?
Réponse
(Rire) Cela ne m’embête absolument pas. Mais je vous laisse calculer par vous-même! (Du reste, Marie demeure plus jeune que la grande majorité d’entre nous.)
Question
En passant, se pourrait-il que nos mouvements aient perdu de leur attractivité, peut-être pour d’autres raisons que nos paroisses?
Réponse
Je crois, d’expérience, que les mouvements ont toujours une durée de vie limitée. Car la fraternité et la confiance mutuelle en constituent des piliers importants. Mais là peut se trouver aussi leur faiblesse : nous sommes si bien entre nous qui nous connaissons déjà, nous n’avons pas tellement le souci d’intégrer de nouveaux adhérents. Ainsi se pose le problème d’accueillir de nouvelles générations de croyants et croyantes, qui peuvent ne pas s’identifier à des manières de fonctionner, de célébrer, apparemment immuables. Sur ce plan, peut-être sommes-nous appelés à des conversions?
Question
Oui, ça me fait penser à des situations vécues. Reprenons avec votre parcours, qui nous montre une Église en constante évolution?
Réponse
J’ai brièvement assuré un remplacement, en 1985, comme animatrice régionale dans la région pastorale Louis-Hébert (Sainte-Foy et Cap-Rouge). Nous étions alors en pleine implantation du Service d’initiation sacramentelle, la systématisation de ce qui venait de quitter l’école pour se développer dans les paroisses. Puis j’ai travaillé en pastorale de la jeunesse et en pastorale sociale aux Services diocésains, au sein de l’Office diocésain des milieux. Pendant cette période, j’ai vécu une expérience mémorable en participant aux Journées mondiales de la jeunesse à Denver, en 1993. Un autre souvenir inoubliable, c’est notre contribution diocésaine à la Marche des femmes, avec pour thème « Du pain et des roses », en 1995. Cette fois-là, nous nous unissions à des femmes aux convictions variées, mais toutes des personnes remarquables.
Question
Vous êtes par la suite devenue animatrice régionale, si je me souviens bien?
Réponse
Oui, mais j’ai d’abord été affectée à la pastorale sociale et familiale pendant trois ans, de 1995 à 1998. Puis j’ai été nommée animatrice dans la région pastorale Charlevoix-Orléans. C’était un moment de vaste réorganisation diocésaine. Après le Synode diocésain, Mgr Maurice Couture voulait six régions plus fortes, plus autonomes, pilotées par autant de vicaires épiscopaux. Mon travail régional m’a permis de voir et de mieux saisir tant les préoccupations que la réalité quotidienne des équipes paroissiales. Et travailler avec les mêmes personnes pendant cinq ans favorise une plus grande compréhension mutuelle.
Question
En 2003, le cardinal Ouellet, qui venait d’arriver à Québec, vous a confié la préparation du Congrès d’orientation sur l’avenir des communautés paroissiales?
Réponse
Ce à quoi mes expériences précédentes avaient pavé la voie, je pense. Nous avons réuni 1 200 personnes au Centre de foires, en octobre 2004. Auparavant, près de 4 000 personnes avaient pris part à la démarche de réflexion préalable. Au terme de ce Congrès, 25 propositions ont été votées, que l’Archevêque a toutes retenues. Il voulait lui aussi une plus grande implication de toutes les personnes baptisées. Mais je regrette le peu de suivi par après et la lenteur de la mise en oeuvre, principalement des Équipes d’animation locale. En fait, si je regarde à la fois la Commission justice et foi de 1984, le Synode diocésain de 1992-1995 et le document Mission nouvelle évangélisation, adopté à la suite du Congrès d’orientation de 2004, je suis obligée de me dire que le processus compte plus que les résultats obtenus.
Question
Comme on dit parfois dans l’univers du voyage: « Le chemin emprunté et parcouru est plus important que la destination. »
Réponse
Sans doute… Cependant, je déplore une certaine difficulté à nous centrer sur la mission. Les Équipes d’animation locale pourraient nous valoir plus de laïques engagés, ce dont nous avons vraiment besoin. La joie de l’Évangile, du pape François, nous convoque d’urgence à sortir de nos cadres pour être plus missionnaires. Même s’il abordait aussi d’autres questions, le texte du cardinal Lacroix, nouvel archevêque en 2011, « La charité du Christ nous presse », réitérait cette même convocation. Je crois remarquer que l’Esprit Saint nous conduit à de belles audaces dans nos grands rassemblements, mais, ensuite, c’est comme si la peur s’emparait de nous… ceci dit, l’initiation à la vie chrétienne, un redéploiement de l’initiation sacramentelle traditionnelle, s’est assez bien implantée. C’est aussi une perspective avalisée par le Congrès d’orientation de 2004.
Question
Le succès de ce Congrès et la qualité du document Mission nouvelle évangélisation vous ont peut-être propulsée vers la direction du Service de pastorale, peu après?
Réponse
(Sourire) Je suis devenue l’adjointe de Pierre-André Fournier, que j’avais connu à Charlesbourg et qui venait d’être nommé évêque auxiliaire au printemps 2005. C’était un grand homme, dans tous les sens, nous en convenons facilement. Progressivement, je me suis rodée à cette tâche de coordination. En 2008, au sortir du Congrès eucharistique international, Mgr Fournier a été nommé archevêque de Rimouski et le Service de pastorale m’a été confié; il comptait alors plus d’une vingtaine de personnes, dont plusieurs à temps partiel.
Question
Une autre parenthèse : n’avons-nous pas vu une baisse drastique du nombre d’agentes et d’agents de pastorale laïques, entre 1990 (leur grand rassemblement à Saint-Augustin) et 2022, après le gros de la pandémie?
Réponse
Oui, c’est très significatif. Je n’ai pas les chiffres exacts, mais il me semble qu’à une époque pas si lointaine, nous comptions plus d’une centaine d’agentes et d’agents dans le diocèse de Québec. Il ne nous en reste que très peu. C’est dommage, car comment voulons-nous former des chrétiens et des chrétiennes avec de si maigres effectifs? Je me souviens d’une tournée des régions en 2009 : les nombres projetés de personnes mandatées donnaient déjà des frissons dans le dos. Le vieillissement et la perte de vitalité de nos communautés chrétiennes ne peuvent que refréner le désir de s’engager en Église. Encore une fois, c’est parce que j’ai eu la chance de vivre ma foi dans une communauté chrétienne dynamique que j’ai éprouvé le désir de m’impliquer davantage en Église.
Question
Pouvons-nous mieux distinguer ce qui pourrait être amélioré à peu de frais?
Réponse
Il faudrait peut-être des homélies plus vivantes, plus engageantes, un accueil plus soigné à nos célébrations, une musique conçue pour l’assistance et non pour les artisans de la célébration. Je nommerai seulement deux exemples dont j’ai été témoin. À la paroisse Saint-Thomas-d’Aquin, je crois qu’ils ont réussi une belle jonction avec la culture actuelle; ils ont développé un langage plus accessible, offrent diverses manières de prier, ont étendu le répertoire de chants et la participation de l’assemblée. À Sainte-Thérèse de Beauport, le recteur sait bien affronter des questions contemporaines dans sa prédication, son équipe inscrit à l’écran toutes les paroles des chants et soutient par des images la parole du président d’assemblée. De ce fait, on sent que la communauté se renouvelle, on peut y voir un plus grand nombre de personnes entre 30 et 50 ans.
Question
Les réaménagements pastoraux ont passablement modifié l’organisation des communautés a nécessité de grands investissements de temps…
Réponse
L’accompagnement des équipes paroissiales en fonction de ces réaménagements a largement occupé le Service de pastorale entre 2011 et 2018. Toutes proportions gardées, je dirais que nous avons travaillé plus encore avec les paroisses que du temps où nous avions des équipes régionales fortes. Je me considère chanceuse d’avoir pu coordonner une telle opération, complexe mais emballante. Avec une équipe extraordinaire pour aider à baliser le chemin des communautés afin qu’elles puissent poursuivre la mission. Nous en sommes rendus à la transformation de la charge pastorale (NDLR : l’implication de laïques en responsabilité). Certaines communautés n’ont pas un nombre suffisant de leaders potentiels mais bon nombre en comptent suffisamment pour se transformer, jusqu’à faire des disciples. Comme point d’assise, misons sur le partage à partir de la Parole de Dieu, et pas seulement dans les Maisonnées. Ces échanges permettent de se nourrir mutuellement de la Parole; un enseignement, c’est bien mais ça ne donne pas tellement la vie…
Question
Marie, vous avez évolué aussi sur plusieurs comités de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec, et en avez sans doute retiré tout un bagage? J’ai d’abord fait partie du Comité organisateur du Congrès sur les ministères, à l’automne 2001, après le Sommet des Amériques à Québec. J’ai siégé à la Table provinciale de pastorale de la jeunesse, puis au Conseil Communautés et ministères, jusqu’en septembre 2021. Entendre ce qui se vit dans d’autres Églises diocésaines m’a permis d’élargir ma réflexion. Je m’efforçais d’y faire valoir le point de vue des équipes pastorales. Nous avons rédigé ensemble Le tournant missionnaire des communautés chrétiennes, en 2016, un texte à partir duquel plusieurs équipes ont aimé travailler. Nous avons aussi planché sur le Cadre de référence pour le ministère d’agent ou d’agente de pastorale laïque, en 2017.
Question
Parlant d’évêques, vous avez bien dû en côtoyer plusieurs au fil de votre parcours?
Réponse
Ici à Québec, j’ai connu quatre archevêques et 16 ou 17 évêques auxiliaires. Les départs de ceux-ci pour d’autres diocèses, parfois rapides, ont entraîné des ralentissements alors qu’il fallait tout reprendre à neuf ou presque. Ces périodes de latence n’ont pas brisé la continuité, en revanche. De plus, avec l’appui de nos évêques, nous avons modifié le fonctionnement du Service de pastorale (SP) pour en faire une véritable équipe au service de la mission plutôt qu’un groupe de spécialistes. J’ai annoncé à quelques reprises que nous devions nous préparer en fonction d’un SP qui compterait bientôt seulement six ou sept personnes. Certains en avaient les yeux écarquillés!
Question
Marie, c’est tout un tour d’horizon que vous nous avez fait faire. Merci infiniment.
Réponse
De rien. J’espère que ceci donnera le goût à des gens de s’investir au service de la mission.