François de Laval1, naît à Montigny-sur-Avre en France en 1623. Après avoir fait ses Lettres et sa Philosophie au collège de Laflèche, il entreprend sa Théologie au collège de Clermont à Paris en 1641. Destiné à l’état ecclésiastique, il doit toutefois à la suite de la mort de ses deux frères aînés prendre la responsabilité de la famille des Montigny. Il continue son cheminement vers le sacerdoce qu’il reçoit en 1647. Il renonce plus tard à la Seigneurie de Montigny et à ses droits, il séjourne à l’Ermitage de M. de Bernières à Caen de 1654 à 1658. Il est choisi comme vicaire apostolique au Tonkin, puis par la suite il accepte d’aller plutôt au Canada qu’on appelait alors la Nouvelle-France. Il est sacré évêque à Paris dans la chapelle de la Vierge (aujourd’hui disparue) de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, le 8 décembre 1658 à l’âge de 35 ans. Il arrive à Québec le 16 juin 1659. Il y demeure jusqu’à sa mort si l’on fait exception de ses trois voyages en France. L’évêché de Québec est érigé en 1674. Après sa démission en 1685, Mgr de Laval revient au Canada en 1688, se retire au Séminaire de Québec qu’il avait fondé et y meurt en 1708.
Pris tout entier par son ministère
Cet évêque du dix-septième siècle, très lié aux milieux de la renaissance religieuse en France et aux efforts missionnaires qui accompagnent l’ouverture de nouvelles contrées au commerce et à la colonisation, nous présente un visage de pasteur remarquable. François de Laval n’a pas laissé d’écrits spirituels majeurs2. On a conservé de lui surtout des mandements, des lettres, des rapports au Roi de France ou au Pape. En les parcourant, on découvre une activité pastorale innovatrice et intense. Il a été pris tout entier par son ministère de pasteur et son expérience spirituelle, dont il parle peu, a été continuellement modelée par la tâche pastorale qu’il a choisie ou qui s’est imposée à lui. Bien qu’ayant fréquenté les milieux des AA3, l’Ermitage de Caen de M. de Bernières, les Jésuites auxquels il resta toujours très attaché, il garde une heureuse liberté vis-à-vis ces influences. C’est son ministère qui est premier. Et s’il est bien un homme du XVIIe siècle par ses pratiques de mortification, par exemple, que le frère Houssart se plaît à répertorier d’une façon minutieuse4 ou encore pas ses dévotions comme la dévotion à la Sainte-Famille et aux saints Anges, François de Laval est aussi un pasteur comme le souhaite le Concile Vatican II, accomplssant son ministère « dans la sainteté, avec élan, humilité et ocurage » et y trouvant « un moyen idéal de sanctification »5. Le bienheureux François de Laval en effet s’est laissé totalement pénétrer par son ministère. Les témoignages des contemporains insistent sur ce point. La Mère Juchereau admire en lui « toutes les vertus que saint Paul demande à un évêque »6. Monsieur de Vilermaula, prêtre de Saint-Sulpice à Montréal, à la mort de Mgr de Laval, regrette « un pasteur plein de l’esprit des apôtres et tout semblable à ces saints évêques qui sont aujourd’hui l’objet de notre culte »7. Le rayonnement de François de Laval est perçu à partir de son ministère de pasteur parce que son expérience spirituelle personnelle est entièrement imprégnée par son ministère.
Animé par la charité pastorale
On peut dire, que François de Laval, sans être bérullien au sens strict, illustre la vision bérullienne du pasteur dont la vie n’est pas séparée de la fonctIon et où « ce qui compte avant tout pour un prêtre c’est d’être prêtre, comme ce qui importe à une créature est d’être créature et à un chrétien d’être chrétien: ratifier son état »8. Il y a chez François de Laval une unité et une harmonie de vie qui est le fruit d’une charité pastorale sans cesse en éveil. Il ne peut, comme plusieurs évêques le font en son temps, séparer le ministère pastoral (la « cura animarum ») de sa charge d’évêque. C’est pourquoi il s’emploie à faire plusieurs fois la visite pastorale dans ces régions où la faible densité de la population dispersée sur un immense territoire rend l’entreprise des plus ardues (environ 2 000 habitants en 1659, partagés entre trois centres de peuplement, Québec, Trois-Rivières et Montréal, sur une distance d’environ 250 kilomètres). On le voit « mené dans un petit canot d’écorce par deux paysans, sans aucune suite que d’un ecclésiastique seulement »9 nous raconte les Relations des Jésuites. Il s’arrête pour les confirmations même là où ul n’y a que 3 ou 4 familles. A son arrivée à Québec, il n’avait eu rien de plus pressé que de visiter les 60 à 75 familles qui formaient l’agglomération principale de la colonie de ce temps. Puis, il se lançait « sur les neiges dès son premier hiver pour visiter ses ouailles, non pas à cheval ou en carrosse, mais en raquettes et sur les glaces »10. Démissionnaire, l’évêque de 65 ans, après un séjour de 4 ans et demi en France, demande à se retirer à Québec. C’est avec son peuple qu’il veut terminer sa vie. « Si je retourne, ce n’est uniquement que pur y achever de finir mes jours en repos et avoir la consolation de mourir dans le sein de mon Église » écrit-il au Ministre du Roi Louis XIV, M. de Seigneley11. A quatre-vingts ans, il fait encore une fois, le voyage de Québec à Montréal pour aller confirmer en l’absence de l’évêque Mgr de Saint-Vallier retenu en France.
Au service de tous
François de Laval se situe dans le sillage d’un Charles Borromée à Milan, « la lumière des Prélats de nos derniers temps » dira-t-il12. Pasteur d’un immense territoire aux dimensions de l’Amérique dont on voulait faire une province de France, il a consacré toute sa vie et ses énergies a son peuple. Aucune catégorie de personnes n’échappait à sa sollicitude. L’évangélisation des Amérindiens lui tenait à cœur. Il y voyait « l’emploi le plus important dans l’Église »13. Il a combattu pour faire respecter leur dignité d’homme en s’opposant aux commerçants qui les exploitaient par la traite de l’eau-de-vie « pour tirer d’eux des castors », comme dit Marie de l’Incarnation dans une lettre à son fils Dom Claude Martin en 166214. De même avec les colons et le reste de la population, il a maintenu un contact étroit et suscité une solidarité qui s’est manifestée dans la mise sur pied de confréries comme celle de la Sainte-Famille15. Pour les prêtres diocésains, il a voulu qu’ils soient regroupés dans un Séminaire rattaché au Séminaire des Missions-Étrangères de Paris « pour servir de Clergé à cette nouvelle Église »16. Cette sollicitude pour les personnes est la marque authentique d’un pasteur. Le P. Ragueneau reconnaît avec admiration en Mgr de Laval « un modèle parfait des véritables évêques »17.
Conclusion
Tout en étant consacrée en grande partie à par l’établissement d’institutions, l’oeuvre pastorale du saint évêque, François de Laval, visera surtout à rejoindre les coeurs et à les ouvrir à la Bonne Nouvelle vécue fraternellement, fidèlement et radicalement18. C’est pourquoi il rappellera, avec un brin d’humour peut-être, aux missionnaires Claude Trouvé et François de Salagnac que, si « la langue est nécessaire pour agir avec les Sauvages19, c’est toutefois une des moindres parties d’un bon missionnaire, de même que dans la France, de bien parler français, n’est pas ce qui fait prêcher avec fruit »20.
Notes
- Les principaux documents concernant François de Laval ont été rassemblés dans l’ouvrage suivant: Quebecen. Beatificationis et Canonizationis Ven. Servi Dei Francisci de Montmorency-Laval episcopi Quebecensis (+1708) Altera nova positio super virtutibus ex officio critice disposita (Sacra Rituum Congregatio, Sectio historica, 93), Polyglottis Vaticanis, 1956. Dans le cours de l’article, Altera nova positio désignera cet ouvrage. Celui-ci reproduit la plus ancienne biographie de Mgr de Laval, Mémoires sur la Vie de M. de Laval, premier évêque de Québec, de Bertrand de La tour publiée à Cologne en 1761. Pour la vie de Mgr de Laval on pourra se référer avec profit à Auguste Gosselin, Vie de Mgr de Laval, 2 vol., Québec, 1890; Émile Bégin, François de Laval, Québec, 1959 et surtout à l’excellent article d’André Vachon dans le Dictionnaire Biographique du Canada, vol. 11 de 1701 à 1740, Les Presses de l’Université Laval/University of Toronto Press, 1969, pp. 374-387.
- Quelques lettres sont plus révélatrices, comme les cinq qui nous restent de sa correspondance avec Henri-Marie Boudon. Elles constituent le Document XXXVII de l’Altera nova positio (pp. 205-211. La lettre du Frère Houssart à M. Tremblay, procureur du Séminaire à Paris, nous renseigne sur plusieurs points de la vie privée de Mgr de Laval (Aaltera nova positio, pp. 649-667) et le premier biographe, Bertrand de la Tour, nous donne de précieuses indicaations sur la formation spirituelle de Mgr de Laval, en particulier sur le groupe des disciples de M. de Bernières (Altera nova positio, particulièrement pp. 732-739).
- François de Laval faisait partie d’un groupe appalé l’ »Assemblée des Amis » ou « des Bons Amis », en abrégé l’AA, cf. Mémoires sur la Vie de M. de Laval, premier évêque de Québec par Bertrand de La Tour dans Altera nova positio, pp. 712-715. Ce groupe fut le berceau du Séminaire des Missions-Étrangères de Paris et de celui de Québec. « L’influence de l’AA est évidente dans les premiers règlements du Séminaire de Québec » écrit Noèl Baillargeon dans Le Séminaire de Québec sous l’épiscopat de Mgr de Laval, (Les Cahiers de l’Institut d’histoire, 18), Les Presses de l’Université Laval, Québec, 1972, p. 7.
- Lettre du Frère Houssart, septembre 1708, dans Altera nova positio pp. 654-655.
- Constitution dogmatique « Lumen Gentium », numéro 41 dans Vatican II. Les seize documents conciliaires, Fides, Montréal, 1966, p. 67.
- Extraits de l’ »Histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec » dans Altera nova positio p. 701.
- Lettre de M. de Villermaula à M. de Maizerets, 1708, dans Altera nova positio, p. 679.
- Cochois, Paul, Bérulle et l’École française, (Maîtres spirituels, 31), Seuil, Paris, 1963, p. 124.
- Relations des Jésuites, 1676, dans Altera nova positio, p. 69.
- Relations des Jésuites, 1659-1660, dans Altera nova positio, p. 65.
- Lettre à M. de Seigneley, mai 1687, dans Altera nova positio, p. 408.
- Mandement contre le luxe et la vanité des femmes et des filles dans l’Église, dans Têtu, H. et Gagnon, C.-O., Mandements, lettres pastorales et circulaires des sévêques de Québec, vol. 1, Québec 1887, p. 108. Désormais, cet ouvrage sera cité ainsi: Mandements…Les analogies avec l’oeuvre pastorale de Saint Charles Borromée sont nombreuses. Les six traits distinctifs de la pastorale borroméenne que relevait naguère Roger Mols dans son article intitulé: « Saint Charles Borromée, pionnier de la pastorale moderne », dans Nouvelle Revue Théologique 79 (1957) pp. 600-622 et pp. 715-747, à savoir pastorale rigoriste, hiérarchique, communautaire, parénétique, sacramentaire, organisée, s’appliquent bien à l’oeuvre pastorale de Mgr de Laval, spécialement « la méticulosité dans l’organisation ». La formation en droit canon de François de Laval y était pour quelque chose. Il avait obtenu une licence en droit canon de l’Université de Paris en 1649.
- Instruction pur nos bien-aimés en Notre-Seigneur Claude Trouvé et François de Salagnac prêtres, allant en mission aux Iroquois situés en la côte nord du lac Ontario, dans Mandements…, p. 75.
- Lettre de Marie de l’Incarnation à son fils, 10 août 1662, dans Altera nova positio, p. 59.
- Mandements pour établir la Confrérie de la Sainte-Famille, dans Mandements…, p. 51-53 et Règlements de la Confrérie des femmes établie en l’Église Notre-Dame de Québec, sous le titre de la Sainte-Famille de Jésus, Marie et Joseph, et des saints Anges, Ibidem, p. 56-66.
- Lettre de Marie de l’Incarnation à son fils Dom Claude Martin, 1659, dans Altera nova positio, p. 53.
- Extrait de la Vie de Catherine de St-Augustin, par le P. Paul Ragueneau, s.j., 1671, dans Altera nova positio, p. 202.
- Acte de fondation du Séminaire de Québec, 26 mars 1663, dans Provost, Honorius, Le Séminaire de Québec. Documents et biographies, Québec, 1964, p. 2.
- Le terme Sauvage n’a rien de péjoratif à cette époque en Nouvelle-France. Il désigne les Amérindiens qui vivaient dans les forêts de l’Amérique du Nord. Retour
- Instruction pour nos bien-aimés en Notre-Seigneur, Claude Trouvé et François de Salagnac, prêtres, allant en mission aux Iroquois situés en la côte nord du lac Ontario, dans Mandements…, p. 75.