Article tiré de la revue Pastorale-Québec, décembre 2020
Entrevue avec Mgr Marc Pelchat sur son dernier livre
Propos recueillis par René Tessier
Mgr Marc Pelchat a publié, début novembre chez Médiaspaul: Accueillir la vie d’après — Réflexions pour un temps de pandémie. Il y devise à partir des expériences vécues dans la cadre du confinement, puis du déconfinement et du reconfinement partiel des derniers mois; pour nous comme citoyens et personnes croyantes, pour notre Église et pour notre société québécoise, appelées à de nouveaux passages au sortir de la crise. R.T.
Q: Bonjour, Mgr Pelchat. Vous écrivez que la crise des derniers mois « a fait ressortir nos faiblesses ». D’après vous, quelles leçons pouvons-nous tirer, à ce moment-ci, de la pandémie que nous affrontons?
R: C’est précisément la question que je souhaiterais nous voir aborder ensemble. C’est d’ailleurs à cette fin que j’ai écrit ce petit livre, qui ne prétend pas répondre à toutes les interrogations, du reste. Mon premier questionnement est celui-ci : est-ce que nous aurons vécu un véritable événement — qui ouvre des lendemains pour nous — ou est-ce que le temps aura été tout simplement suspendu pendant plusieurs semaines. Nous avons beaucoup entendu dire : « ce ne sera plus pareil désormais ». Mais le changement ne sera pas automatique, il ne peut qu’être le produit de décisions que nous aurons prises collectivement. Au plan pastoral, il nous appartient d’examiner ensemble et de décider localement comment nous pouvons faire différemment. Nous ne pouvons pas miser uniquement sur le rassemblement eucharistique, nos propositions ne peuvent pas se limiter seulement à la messe, même si celle-ci reste très importante.
Q: Dans le livre, c’est remarquable : vous réfléchissez autant sur l’avenir de notre société que sur celui de l’Église au Québec…
R: Les deux sont interpellées, il me semble. Les questions à nous poser devraient permettre d’identifier ce que nous voulons changer autour de nous. Les changements, même les plus nécessaires ou les plus souhaitables, ne se feront pas d’eux-mêmes, comme par enchantement. C’est le temps, maintenant, de décider ce que nous voulons modifier, dans nos habitudes d’abord, dans notre monde ensuite. Par exemple, si je veux privilégier l’achat local (une préoccupation souvent nommée ces derniers mois), je dois l’inscrire résolument dans mes habitudes.
Q: Nous sommes soumis, depuis la fin septembre, à de nouvelles restrictions, après une période « de relâchement »…
R: Certes, les autorités publiques ont dû improviser et corriger le tir à quelques reprises. Nous n’étions vraiment pas préparés à ce qui nous est arrivé. Au fil du temps, la pandémie a réveillé plusieurs questionnements. Nous avons réalisé plus qu’auparavant à quel point nos aînés étaient souvent mis de côté et abandonnés; comme nous avons pris conscience de l’importance du rôle des soignants et des préposés, pas toujours bien rémunérés. Notre lecture de la situation devrait nous inspirer pour un redressement collectif. Nous avons même fait l’expérience, temporairement, d’une forme de revenu universel garanti; pourrions-nous pérenniser une telle formule? Je ne prétends pas maîtriser parfaitement le sujet mais je me souviens qu’un ancien collègue doyen à l’Université Laval, François Blais, devenu ministre québécois de l’Emploi et de la Solidarité sociale, avait beaucoup réfléchi sur le principe et sa mise en application. Il a dessiné les contours d’une politique viable en la matière. De même, une médecine à domicile, une meilleure reconnaissance des aidants dits naturels, tout cela serait peut-être une bonne manière de prendre soin des plus fragiles d’entre nous: les plus âgés, les personnes malades ou handicapées…
Q : Vous relevez au passage une déclaration de l’Organisation mondiale de la santé, qui a déclaré que « la spiritualité joue un rôle dans la gestion d’une épidémie de grande envergure » (p.72), quelque chose que le Québec a sans doute négligé plus que les autres cette année?
R : En effet. Nous l’avons fait valoir auprès de la Direction de la santé publique et du Premier ministre (via des intermédiaires, forcément). Les groupes confessionnels représentent une importante source de soutien pour les communautés humaines qu’ils servent. Cela peut se vérifier partout dans le monde. La vie ne peut pas se résumer aux activités financières et commerciales…
Q: Vous faites valoir qu’historiquement, les crises ont été des instants de remises en question et de transformation de nos façons de vivre. Ces jours-ci (quelques heures après les attentats dans le Vieux-Québec le soir du 31 octobre), on s’inquiète soudain du support à la santé mentale au Québec…
R: Vous savez, plusieurs maisons de répit ont dû fermer leurs portes pendant ces premiers mois de pandémie. Alors que nous nous sommes retrouvés avec plus de temps libre, nous avons pu prendre conscience de l’importance des relations humaines dont nous pouvions être privés. La relation avec autrui, nous disent les philosophes, c’est en définitive ce qui définit le moi et la vie (p.28 du livre). Pendant les semaines moins remplies que j’ai eues après le retour de convalescence du cardinal Lacroix, j’ai rejoint par téléphone plusieurs personnes avec lesquelles mes contacts étaient parfois trop irréguliers.
Q: À en juger d’après votre livre, vous avez aussi lu abondamment. Vous citez une grande variété de sources, des parutions récentes de magazines mensuels comme Philosophie, Esprit et Relations, des livres comme Le monde d’hier, de Stefan Sweig, ou Trouver son équilibre intérieur, du moine Anselm Grün, et même Tintin au Tibet.
R: Oui, tout cela, joint à mon expérience personnelle de théologien en ecclésiologie, a alimenté ma méditation. Le journal Le Soleil a publié, fin avril, un texte dans lequel je réfutais l’idée que la pandémie nous soit envoyée par Dieu, en « châtiment » pour nos déviations. Vous savez, nos devanciers en Église ont eux aussi affronté des épreuves pénibles et « ils ont puisé dans le trésor de leur foi pour traverser ces temps difficiles » (p.39). Oui, pour répondre à votre question, après avoir renoué avec la lenteur, j’ai profité de temps libres qui m’étaient donnés pour lire et écrire, en particulier les fins de semaines qui se voyaient dégagées tout à coup. J’ai puisé aussi dans les cahiers du Devoir pour bien saisir l’état de la situation à la grandeur du Québec. Je souhaite surtout, en publiant un tel livre, que la réflexion soit reprise et partagée par un grand nombre de gens.
Q: Vous présentez (pp. 52-55) la vie spirituelle comme un mouvement qui part de l’extérieur pour aller vers l’intérieur. Pouvez-vous expliquer brièvement ce que vous entendez par là?
R: Certainement. Je dirais qu’il s’agit d’identifier d’abord ce que nous éprouvons, nous ressentons extérieurement pour ensuite rentrer en soi, en quelque sorte. Même quelqu’un qui prie moins régulièrement peut néanmoins repérer ce qui le fait vivre ou le remue et, à partir de là, remonter dans les profondeurs de son être. À quoi est-ce que j’aspire profondément? Quelle est mon espérance? La vie spirituelle consiste à aller plus loin que la réalité qui nous entoure, en scrutant nos désirs pour mieux retourner à ce qui nous anime.
Q: Ici, vous empruntez le schéma d’un grand auteur qu’on trouve souvent difficile à saisir, Pierre Teilhard de Chardin?
R: Surtout à travers ce qu’Henri de Lubac aura mis en évidence dans son œuvre prolifique: il propose une démarche qui commence par: 1) se centrer sur soi (écouter son cœur, regarder ses actions, ses gestes; puis 2) se décentrer vers l’autre et, enfin: 3) se recentrer sur plus grand que soi. Teilhard résume ainsi : être d’abord pleinement, aimer ensuite et finalement adorer. J’ai voulu recadrer le concept d’une vie spirituelle qui serait exclusivement intérieure. En fait, « notre univers, avec tout ce que nous vivons et éprouvons à l’extérieur, nous aide à déceler une ‟intériorité brûlante” que nous en pouvons ignorer. » (p.53) Et l’intériorité devrait nous stimuler à transformer le monde, pas nous replier sur nous-mêmes.
Q: Les malaises nés du virus et ses dangers ont suscité toutes sortes de pratiques religieuses; certaines peut-être contestables?
R: Multiplier les expositions du Saint Sacrement jusque sur YouTube ne me paraît pas très avisé. La foi chrétienne ne relève pas de la magie. Il nous a fallu résister à des requêtes ou des suggestions qui relevaient du matérialisme sacramentel. Nous avons bien plus à gagner en puisant dans notre tradition catholique. Alors que j’étais responsable intérimaire du diocèse, j’ai fait un pèlerinage chez les Augustines de l’Hôtel-Dieu, pour y invoquer Catherine de Saint-Augustin, soignante modèle. Au passage, je me suis arrêté au tombeau de Mgr de Laval, qui a lui aussi pris un soin particulier des malades. Le pape François avait donné le ton auparavant, en portant la Croix et une image de Marie jusqu’à une église de Rome.
Q: Ce qui nous conduit à vos suggestions en fin de volume (pp. 81-82), pour modifier notre exercice de la mission?
R: Pour voir comment nous y parviendrons, il nous faut d’abord nous y arrêter, en prenant le temps requis. Ça me déçoit vraiment de voir, en plein cœur d’une réunion prioritaire, un prêtre quitter parce qu’il va célébrer la messe, par exemple. Avec des territoires de plus en plus grands à couvrir, il va falloir accepter que nous ne pouvons plus offrir autant de messes. Pour avancer, si nous commencions par libérer du temps? Pour nous « creuser le coco » ensemble et préciser comment nous pouvons répondre aux besoins du peuple de Dieu que nous desservons. Ce que nous dit l’Évangile de ce matin (4 novembre: Luc 14, 25-33): « Celui qui veut construire une tour va commencer par s’asseoir pour calculer la dépense », tout comme le roi qui part en guerre va évaluer ses forces et ses moyens. Dans Evangelii Gaudium, le pape François nous explique que le temps est supérieur à l’espace. Autrement dit, le temps (long) est un incontournable dans l’action pastorale, les processus de croissance ne peuvent être initiés que dans la durée. Alors, apprenons à sortir des tourbillons dans lesquels nous sommes plongés.
Q: C’est dans cette logique que notre Archevêque a décrété une pause en initiation chrétienne, pour réfléchir à une relance de l’éducation de la foi?
R: Oui, en particulier à l’endroit des adultes. Nous sommes un peu comme Nicodème, dérouté par la parole de Jésus : « Il te faut renaître » (Jean 3, 1-21). Jésus nous indique qu’il est nécessaire de changer, de devenir un homme nouveau. Nous savons que cela n’est jamais facile, mais le Christ nous rappelle aussi que « l’Esprit souffle où il veut ». Il y a en nous toute une force d’inertie à surmonter; pensons seulement à tous ces rapports rédigés avec soin, après une large consultation, qui reposent sur des tablettes et ne seront jamais mis en œuvre!
Q: En somme, votre livre veut susciter un effort de réflexion à plusieurs, de concertation pour arriver ensemble à « faire différemment »?
R: Il me paraît clair que l’Église du Québec ne peut échapper à la nécessité de faire autrement, d’inventer de nouveaux passages vers l’Évangile. L’échange doit se vivre maintenant; sinon, la pandémie terminée, nous serons fortement tentés de revenir tout simplement à nos anciennes pratiques. C’est maintenant qu’il nous faut réfléchir sur l’après.
Q: C’est clairement ce à quoi vous nous conviez dans votre livre. Mgr Pelchat, merci d’avoir « pris le temps » pour cette entrevue, après avoir « pris le temps » de le rédiger.