Article tiré de la revue Pastorale-Québec, novembre-décembre 2021. Pour vous abonner à la revue diocésaine, suivez ce lien!
Par Sophie Tremblay, Office de catéchèse du Québec
Depuis une vingtaine d’années, la formation à la vie chrétienne se transforme au Québec. Au début des années 2000, la fin de l’enseignement religieux scolaire a provoqué l’ouverture d’un chantier catéchétique dans tous les diocèses. Dans certains milieux, on se mettait à la tâche avec enthousiasme, mais dans beaucoup d’autres, la panique se disputait à l’urgence. Certes, le défi était énorme, mais pour plusieurs, il paraissait carrément insurmontable. Or, à peine quelques années plus tard, en relisant les événements avec un peu de recul, force était de constater l’étonnante fécondité de ce chantier. À travers les tâtonnements, les essais et les erreurs, on pouvait reconnaître l’Esprit Saint à l’œuvre.
Après plusieurs années de relative stabilité, nous voici à nouveau dans une période de changement. D’une part, la société a continué de bouger, ici comme ailleurs dans le monde. D’autre part, sous l’impulsion du pape François et à l’invitation de nos évêques, notre Église s’est engagée sur la voie d’une conversion missionnaire. À tout cela s’ajoutent la pandémie de COVID-19 et ses effets perturbateurs dans la vie ecclésiale comme dans la vie sociale, à l’échelle de la planète.
Dans ce contexte mouvementé, la nécessité de faire autrement en formation à la vie chrétienne s’impose. De nouvelles avenues émergent et, parmi elles, le passage d’une catéchèse destinée uniquement aux enfants à une approche plus familiale intégrant les parents de ces enfants. Les catéchètes qui orientaient déjà leur pratique dans cette direction continuent de mobiliser leurs énergies pour la mettre en œuvre. Mais pour d’autres catéchètes, au contraire, ce passage donne le vertige. Ces personnes perçoivent bien qu’il s’agit d’un déplacement notable, non d’une retouche cosmétique, et cette perspective affecte leur motivation à poursuivre leur engagement.
En effet, ce passage pose un véritable défi qu’il ne sert à rien de minimiser. Toutefois, il peut être apprivoisé. Voici deux pistes pour faire un bout de chemin dans cette direction.
Première piste : Une situation inédite plus favorable à la collaboration
Aujourd’hui, le désir de transmettre en héritage ce qu’on a soi-même reçu fait partie des préoccupations des parents comme des catéchètes. Les uns et les autres considèrent la catéchèse et les sacrements d’initiation comme valables et importants, du moins suffisamment pour se donner la peine de les faire connaître aux nouvelles générations. Sauf exception, ces dernières ne les reçoivent plus à travers leur parcours scolaire et leur socialisation. Inévitablement, les parents des années 2020 doivent faire un choix, prendre une décision. Plus rien ne se fait par défaut. À cet égard, leurs dispositions diffèrent de celles des parents des années 2000. À lui seul, ce fait contribue à rapprocher le point de vue des parents de celui des catéchètes.
Le désir de transmission s’enracine habituellement dans les repères provenant de sa propre histoire, de l’expérience de sa génération et de sa région d’origine. Ainsi, une catéchète de 70 ans, originaire d’une région éloignée, formée par le catéchisme à l’école primaire et pratiquante dominicale toute sa vie, aura forcément des repères différents d’un jeune papa de 35 ans né en milieu urbain, qui a vécu l’enseignement religieux scolaire, « l’initiation sacramentelle » en paroisse et toujours fréquenté la messe à Noël et à Pâques en compagnie de sa famille.
Il reste qu’en dépit de ces repères différents, la catéchète et le jeune papa ont maintenant un point commun : ni l’un ni l’autre ne pourra faire vivre aux plus jeunes les mêmes choses que dans sa propre jeunesse. Ce fait ne relève pas seulement des changements rapides dans les mentalités et les modes de vie. N’oublions pas que, dans l’Église catholique au Québec, on a modifié les manières de faire en formation à la vie chrétienne d’une décennie à l’autre depuis les années 1960. En fait, aucune des générations actuelles, des plus âgées aux plus jeunes, n’a reçu la même formation à la vie chrétienne que la précédente, et aucune ne pourra transférer telles quelles ses références aux générations montantes. Bref, la situation actuelle est inédite pour tout le monde, toutes générations confondues.
Ainsi, devant les enjeux actuels de la transmission de l’héritage chrétien, catéchètes et parents se trouvent en quelque sorte « dans le même bateau ». Nous n’en sommes plus au temps où l’on évoquait l’antagonisme entre « les demandes des parents » et « l’offre de l’Église », sur fond de catholicisme culturel. Les automatismes des uns comme des autres ne fonctionnent plus. Aujourd’hui, il n’y a plus d’héritage possible sans une part de décision.
Cette situation inédite constitue un contexte favorable au développement d’approches plus familiales en formation à la vie chrétienne. Parents et catéchètes se trouvent au début d’un chemin que ni les uns ni les autres n’ont jamais parcouru. Comme des voyageurs autour d’une carte routière, ils ont besoin d’élaborer un itinéraire pour se rendre à la destination souhaitée. Sur ce terrain peu familier, la nécessité de collaborer s’impose davantage et les points de repères différents sont un atout plus qu’un problème.
Au départ d’une démarche familiale en formation à la vie chrétienne, il y a donc un dialogue à ouvrir, une relation à établir. Une séance d’information ou un premier contact formel ne suffisent pas si l’on veut créer un climat de collaboration. Entre autres, il vaut la peine d’échanger sur ce que chacun a vécu comme formation à la vie chrétienne, ce qu’il en retient de bon et de moins bon, ce qui lui tient le plus à cœur et qu’il aimerait faire découvrir aux plus jeunes. Un tel dialogue permet de trouver ensemble les assises pour déployer une démarche de formation à la vie chrétienne dont tous puissent se sentir partenaires.
Deuxième piste : vers une catéchèse intergénérationnelle et décloisonnée
La volonté d’impliquer les parents dans la formation à la vie chrétienne de leurs enfants est loin d’être nouvelle dans l’Église du Québec. En même temps, il est tellement habituel d’associer la catéchèse à l’enfance et au contexte scolaire qu’on le fait sans le réaliser, par automatisme. N’avez-vous pas encore récemment entendu des adultes (paroissiens, catéchètes, parents ou grands-parents) évoquer le « cours de catéchèse » à la paroisse et les « devoirs de catéchèse » à faire à la maison? Ainsi, l’implication des parents demeure souvent pensée dans le prolongement du modèle scolaire, par exemple faire un suivi à la maison de la même manière que pour les apprentissages scolaires. D’autre part, à la différence de l’école, la présence des parents est souvent requise pour les rencontres de catéchèse avec des enfants âgés entre 5 et 8 ans. On leur demande alors de superviser le comportement de leur enfant et d’écouter le contenu qui lui est destiné.
Tant qu’on réserve aux parents un rôle instrumental dans une animation dont ils ne sont pas vraiment destinataires, rien d’étonnant alors qu’ils s’en désistent dès que possible. Impliquer davantage les parents ne sera possible que si l’on s’implique aussi davantage à leur égard. Autrement dit, il s’agit de les considérer comme des interlocuteurs à part entière et de les inclure comme destinataires des animations. Attention : il n’est pas question ici de dire aux parents : « comme vous ne savez rien de toute façon, vous devez tout réapprendre avec vos enfants ». Ce serait à la fois injuste et blessant. Au contraire, on parle ici de rendre la catéchèse véritablement intergénérationnelle, de la décloisonner, de veiller à ce que chacun puisse trouver son compte pour soi-même à travers une animation favorisant la participation de toute la famille.
Ce type de catéchèse est en plein essor actuellement dans les diocèses du Québec, que ce soit à la paroisse en présentiel, en visioconférence ou à la maison. Sous différentes formes ou appellations, on trouve à la base les mêmes principes : donner aux membres d’une même famille le temps d’échanger entre eux, faire circuler la parole à partir de la Parole, permettre aux plus âgés de raconter leur histoire aux plus jeunes, établir des ponts entre le langage religieux chrétien et le langage de tous les jours, explorer ensemble le patrimoine religieux de chaque famille et du milieu local. D’ailleurs, pourquoi se limiter au binôme parent-enfant? En invitant aussi les grands-parents, les frères et sœurs, les parrains et marraines, les amis les plus proches, on pourrait avoir la chance d’ajouter quelques participants qui enrichiront la dimension intergénérationnelle dans l’échange. Ainsi, la situation inédite que nous vivons en société et en Église nous offre une opportunité intéressante d’aller plus loin dans la conversion missionnaire en formation à la vie chrétienne. Ensemble, osons!